20 ans après, que sont-ils devenus ? Le parcours des ministres après avoir quitté leurs fonctions. Première partie : la présidence Sarkozy

Habitué des petites biographies des ministres lors de leur nomination afin de les resituer dans leur trajectoire personnelle, professionnelle et sociale, il m’a semblé que faire le même travail, mais a posteriori du passage dans les ministères, pouvait révéler aussi son lot de régularités et de schémas de compréhension sur qui sont ceux qui nous gouvernent. Pour cette première partie, je me propose de faire un très court CV des 25 ministres de plein exercice qui ont officié sous la présidence Sarkozy de 2007 à 2012.

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Sur ces 25 personnalités, 16 ont continué la politique, cumulant les mandats et occupant encore aujourd’hui pour certains des postes à haute responsabilité. 11 ont connu de jolies reconversions professionnelles, le plus souvent dans leur domaine d’expertise ministérielle, allant vers le consulting ou la direction générale d’entreprises, toujours dans des grands groupes en lien avec des hommes d’affaire de premier plan, parfois étrangers. 10 ont eu depuis des ennuis avec la justice – soit des mises en examen, soit des condamnations, soit ils sont dans l’attente du procès – essentiellement pour détournement d’argent public ou prise illégale d’intérêt, ainsi que des petits soucis avec le droit du financement des campagnes électorales. 3 ont trouvé de quoi finir leur carrière dans des postes de la très haute fonction publique. 2 seulement se sont mis définitivement en retrait de la politique. Bien entendu, certains cumulent plusieurs de ces caractéristiques.

Sans vouloir gâcher le suspens ni surjouer l’étonnement, la lecture des portraits de ceux qui nous ont gouverné pose un constat sans appel : il y a un problème de fond avec les élites politiques en France, et affirmer cela n’est ni du populisme ni du « tous pourris » pas plus que la preuve d’une judiciarisation à outrance ou d’une obsession autour de l’affairisme. Bien sûr, il y a des éléments contextuels, au premier plan desquels la personnalité de Nicolas Sarkozy, sa pratique de la politique et du pouvoir, comme en témoigne le nombre impressionnant de condamnations et de mises en examen dont il est le protagoniste. Idem pour l’héritage de la droite libérale, si amatrice de combines depuis au moins l’époque Chirac et le « gang » des Hauts-de-Seine. Mais il y a aussi des raisons plus structurelles, mises en évidence régulièrement par les journalistes Fabrice Arfi et Marc Endeweld : une grande porosité entre monde politique et monde des affaires, avec des allers-retours incessants entre les deux ; une concentration extrême de la production des élites dans quelques grandes écoles parisiennes ; un capitalisme français issu des Trente Glorieuses avec des mastodontes à tendance monopolistique très influents ; des médias de masse eux aussi très concentrés entre les mains d’hommes d’affaires peu soucieux de liberté d’information ou de journalisme d’investigation ; des carrières politiques extrêmement longues qui favorisent les mises en réseau ; des moyens très restreints pour la justice spécialisée dans la délinquance financière et la corruption ; une culture de l’entre soi et de la solidarité entre politiques professionnels qui favorise un silence de bon aloi au nom des ambitions personnelles ; une étonnante bienveillance des médias et citoyens envers les politiques-délinquants, comme le montre l’exemple des Balkany, constamment réélus et tournés en personnages truculents et folkloriques, renvoyant journalistes et magistrats à des postures d’odieux moralisateurs rigides, forcément jaloux d’une réussite éclatante.

Les discours sur ce sujet pourtant central sont rares, même à gauche, alors que le constat est clair. Les exemples efficaces de transformation du système juridique existent – en Italie depuis les années 90 – ainsi que des systèmes de transparence de la vie publique et de non cumul des mandats y compris dans le temps, comme nous le démontrent les pays scandinaves. Et on ne parle pas ici de considérations abstraites et macroscopiques coupées de réalités. Le souci est tout aussi réel et aigu en Touraine : les quatre derniers présidents de Tours Métropole ont été impliqués ou condamnés dans des procédures judiciaires.

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François Fillon (premier ministre de 2007 à 2012). Député puis candidat malheureux à la présidentielle en 2017, il se retire de la vie publique et intègre un boîte de conseil en investissement tout en fondant son propre cabinet de consulting. Il est nommé directeur d’une branche de la fédération automobile internationale la même année. Il devient un peu plus tard administrateur de deux sociétés pétrochimiques russes directement liées au pouvoir et ce jusqu’en 2022, la guerre en Ukraine le poussant à se retirer. Parallèlement, pris dans un tourbillon judiciaire, il est mis en examen  pour « détournement de fonds publics », « complicité et recel de détournement de fonds publics », « complicité et recel d’abus de biens sociaux », « manquements aux obligations de déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique » et pour « escroquerie aggravée, faux et usage de faux ». Il est soupçonné par la presse de détournements de fonds publics en ayant embauché ses enfants comme assistants parlementaires, sa fille rétrocédant une partie de ses revenus à ses parents. François Fillon aurait perçu un prêt gracieux d’un homme d’affaires et aurait fait rédiger une biographie par son assistant parlementaire embauché pour cela, livre qui aurait rapporté 500 000 euros. Il est également soupçonné de conflits d’intérêts via une autre de ses boîtes de conseil qui avait pour clients Axa, des fonds d’investissement et des banques d’affaires, et ce alors qu’il était député. Il est aussi soupçonné de détournements de fonds publics au Sénat ainsi que de trafic d’influence, rémunérés potentiellement en cadeaux – costumes et montres – à hauteur de 70 000 euros. Il est lourdement condamné pour détournement de fonds publics pour avoir donc proposé un emploi fictif à son épouse, payée avec les deniers de l’État et il échappe à la détention ferme de très peu. Il a perdu en première et deuxième instance ainsi qu’en Cassation il y a quelques jours. Il dit songer à saisir la Cour européenne des droits de l’Homme.

Alain Juppé (ministre de la défense puis des affaires étrangères de 2010 à 2012). Reste maire de Bordeaux, se présente sans succès à la primaire de la droite en 2016 puis intègre le Conseil constitutionnel, plaidant alors le « droit à l’oubli » pour sa condamnation dans l’affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris en 2004.

Jean-Louis Borloo (ministre de l’écologie de 2007 à 2010). Il quitte la politique en 2014 puis investit 500 000 euros de sa poche dans le club de foot de Valenciennes dont il devient président, son « club de cœur », lui qui a été maire de la ville dans les années 90. Il prend la tête d’une « fondation pour l’électrification de l’Afrique », qui tourne avec pas mal de subventions d’État et il rentre au conseil d’administration de Huawei France, qui venait d’expérimenter des caméras de vidéo surveillance de nouvelle génération à… Valenciennes. Il touche 21 000 euros par mois pour ces fonctions, qu’il quitte à l’été 2020.

Michèle Alliot-Marie (ministre de l’Intérieur, puis de la Justice puis des Affaires étrangères de 2007 à 2011). Elle devient députée européenne en 2014. En 2023, elle est renvoyée devant un tribunal correctionnel pour une affaire de prise illégale d’intérêt quand elle était adjointe à la mairie de Saint-Jean-de-Luz et elle est en parallèle sommée dans une procédure à l’amiable de rembourser 600 000 euros au Parlement européen pour avoir employé son neveu comme assistant parlementaire, emploi considéré comme fictif.

Bernard Kouchner (ministre des Affaires étrangères de 2007 à 2010). Il reprend ensuite les activités de sa société de conseil aux entreprises et gouvernements, notamment en Guinée, en lien avec le groupe Bolloré. Il travaille dans le consulting pour une filiale de la banque Rothschild et devient administrateur d’une banque espagnole qui s’implante en Côte d’Ivoire.

Brice Hortefeux (ministre de l’Immigration puis du Travail puis de l’Intérieur de 2007 à 2011). Il est ensuite député européen. Mis en examen et condamné en première instance pour des menaces et des injures racistes, il est relaxé ensuite. Il est désormais renvoyé devant un tribunal début 2025 pour association de malfaiteurs et financement illégal de campagne en lien avec une des affaires Sarkozy.

Rachida Dati (ministre de la Justice de 2007 à 2009). Elle est ensuite députée européenne puis maire d’arrondissement de Paris. Elle est soupçonnée a plusieurs reprises d’activités de lobbying pour des entreprises (GDF, Suez, Total, France Télécom, Renault…) ou des pays (Qatar, Azerbaïdjan). A l’été 2021 elle est mise en examen pour « corruption passive par personne investie d’un mandat électif public au sein d’une organisation internationale », « trafic d’influence passif » et « recel d’abus de pouvoir ». Elle est désormais ministre de la Culture.

Xavier Bertrand (ministre du travail de 2007 à 2012). Il a été ensuite maire, député, président d’agglo et président de région. Il fonde un micro-parti en entendant peser sur les présidentielles de 2017 et 2022. Il a d’ores et déjà déclaré être candidat pour 2027.

Xavier Darcos (ministre de l’Éducation Nationale puis du Travail de 2007 à 2010). Il est ensuite nommé membre de l’Académie des sciences morales et politiques puis entre à l’Académie française. Il devient chancelier de l’Institut de France. Il y a quelques jours, il a été condamné pour prise illégale d’intérêt, ayant avoué avoir utilisé ses fonctions à l’Institut pour recruter un de ses associés en affaires. Il peut cependant rester chancelier et membre de l’Académie des sciences morales et politiques.

Valérie Pecresse (ministre de l’Enseignement supérieur puis porte parole puis ministre du Budget de 2007 à 2012). Elle est ensuite députée puis présidente de région. Elle échoue lors de la présidentielle 2022, sous la barre des 5%. Malgré sa fortune estimée à 10 millions d’euros – partagée avec son mari, directeur exécutif d’Alstom –, elle fait appel avec succès au parti, aux militant et aux sympathisants pour rembourser les frais de sa campagne, soit environ 6 millions d’euros.

Hervé Morin (ministre de la Défense de 2007 à 2010). Il devient ensuite député, conseiller général puis président de région. Il est l’objet d’une enquête depuis 2022 pour prise illégale d’intérêt et est mis en cause par la Chambre des comptes de Normandie pour l’opacité et le caractère illégal de ses frais de représentation, soit 80 000 euros par an remboursés par la région. Depuis 2023, il a pris l’initiative de ne plus user de frais de représentation.

Roselyne Bachelot (ministre des Sports puis des Solidarités de 2007 à 2012). Elle devient chroniqueuse et animatrice par la suite dans des médias propriété d’hommes d’affaires (Bolloré, Bouygues, Weill, Drahi et Mohn). Elle est ensuite ministre de la Culture sous Macron puis retourne aux grosses têtes sur RTL.

Christine Boutin (ministre du Logement de 2007 à 2009). Figure du Parti Chrétien-Démocrate, elle s’engage auprès des luttes historiques de la droite catholique contre l’homosexualité et l’euthanasie. Elle quitte le parti après avoir publié un livre vendu à…58 exemplaires et appelle à voter Zemmour en 2022.

Christine Lagarde (ministre de l’économie de 2007 à 2011). Elle devient ensuite directrice du FMI jusqu’en 2019 puis de la Banque centrale européenne. En 2016, elle est déclarée coupable de négligence dans ses fonctions de ministre lors du règlement du litige qui opposait l’État à Bernard Tapie dans l’affaire Adidas : elle a validé le versement – plus tard annulé par la Justice – de 400 millions d’euros d’argent public au bénéfice de M. Tapie. Elle a été condamnée – mais dispensée de peine – avec son directeur de cabinet de l’époque, Stéphane Richard, devenu de son côté directeur général d’Orange. Il restera d’ailleurs à la tête du groupe de téléphonie après sa condamnation en 2016, tout comme Mme Lagarde est restée patronne du FMI.

Christine Albanel (ministre de la Culture de 2007 à 2009). Après avoir porté la loi Hadopi censée gérer la question des contenus sur Internet et la rémunération des droits d’auteur, elle devient en 2010 directrice exécutive chargée de la communication interne, externe, du mécénat et de la stratégie contenus chez Orange. Après l’arrivée de Stéphane Richard à la direction générale, elle est chargée de la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE), des événements, des partenariats culturels et institutionnels et de la solidarité en 2012. Elle siège également au comité de déontologie d’Endemol France, boîte de production spécialisée dans la télé-réalité, notamment Loft Story.

Eric Woerth (ministre du budget puis du travail de 2007 à 2010). Il est ensuite député, maire, responsable des son parti et président de la commission des finances à l’Assemblée nationale. Il a été mis en cause par la Justice dans une affaire de prise illégale d’intérêts pour la vente d’une partie de la forêt de Compiègne. Il est ensuite mis en examen pour  « trafic d’influence passif et recel de financement illicite de parti politique » dans le cadre de l’affaire Bettencourt, puis pour des malversations dans l’affaire Tapie citée plus haut. Il a bénéficié d’un non lieu à chaque fois par manque de preuves. Il est renvoyé devant un tribunal début 2025 pour complicité de financement illégal de campagne électorale en tant que trésorier de Nicolas Sarkozy. Il a reconnu la distribution de pas mal de cash à des collaborateurs mais reste incapable de justifier l’origine de 250 000 euros en liquide retrouvés à l’issue de la campagne de 2007.  

Michel Mercier (ministre de la Justice de 2010 à 2012). Ensuite président de conseil général, maire et sénateur. En 2017, il est pressenti pour entrer au Conseil constitutionnel, mais il est rattrapé par des affaires judiciaires et doit décliner l’offre. Il est condamné en 2022 pour détournement d’argent public car il a fait bénéficier à son épouse et à sa fille d’emplois fictifs. Les preuves ont été obtenues difficilement, Gérard Larcher, président du Sénat, ayant refusé l’entrée aux policiers venus procéder à des perquisitions au palais du Luxembourg sur ordre d’un magistrat. Le parquet avait mis en évidence « un sérieux enrichissement personnel » de Michel Mercier – 500 000 euros détournés – et un « fort sentiment d’impunité ». Il y a quelques semaines, il est de nouveau condamné pour détournement de fonds publics dans le cadre de l’affaire des assistants du Modem au Parlement Européen.

Nathalie Kosciusko-Morizet (ministre de l’Écologie de 2010 à 2012). Elle a été ensuite députée et conseillère de Paris. Elle divorce puis s’installe à New York avec un homme d’affaires franco-argentin et prend la tête de la division cloud infrastructure et cybersécurité du géant français du numérique Cap Gemini. Elle devient ensuite senior associate d’un fonds d’investissement spécialisé dans la santé, le transport et l’énergie.

Luc Chatel (secrétaire d’État au Tourisme puis porte parole puis ministre de l’Éducation nationale de 2007 à 2012). Il est ensuite maire, député et responsable des Républicains. Il quitte la politique en 2017 et porte à la connaissance du Parquet national financier une douzaine de faits délictueux liés à son parti, sans être ensuite inquiété. Il devient alors associé d’un fonds d’investissement et président du principal lobby automobile français. Depuis 2020, il dirige un grand groupe d’enseignement privé français à l’étranger.

François Baroin (ministre du Budget puis porte parole puis ministre de l’Économie de 2010 à 2012). Il est ensuite maire, député et sénateur. En 2017, il quitte la vie politique nationale et entre comme consultant à la banque Barclays et dans divers fonds d’investissement. Il est embauché en 2018 dans un très grand cabinet d’avocats parisiens puis siège au conseil d’administration d’un opérateur portuaire. Un moment tenté par un retour politique en 2022, il préfère rester en retrait alors qu’il négocie un joli poste à la direction générale de Morgan Stanley France. Finalement, il devient président de Barclays France tout en restant maire. Selon la presse, il a été l’ex-politique avec le plus haut niveau de rémunération dans les années 2010 avec plus de 50 000 euros par mois.

Bruno Le Maire (ministre des Affaires européennes puis de l’Agriculture de 2008 à 2012). Il est ensuite conseiller régional et député tout en essayant de prendre la tête de son parti, sans succès. Il est mis en cause par la presse pour avoir employé son épouse comme assistante parlementaire sans avoir rendu l’info publique et alors qu’elle était en long congé maternité. Finalement, il passe chez Macron en 2017 et en devient ministre de l’Économie depuis lors. En 2023, son micro-parti a été l’objet d’une enquête pour financement illégal car il ne payait pas les factures des prestataires depuis…2016. Il a également été mis en cause dans la presse pour des déclarations considérées comme racistes au sujet des bénéficiaires des prestations sociales et pour son refus de considérer un rapport de l’inspection des finances pointant les surprofits des compagnies autoroutières.

Frédéric Mitterrand (ministre de la Culture de 2009 à 2012). Très discret après son passage au ministère, ils devient membre de l’académie des Beaux-Arts en 2019. Décédé il y a quelques jours.

Maurice Leroy (ministre de la Ville de 2010 à 2012). Il est ensuite président de conseil général puis député. Il démissionne en 2018 pour devenir directeur général adjoint du Grand Moscou, sur proposition du maire de Moscou, un homme très proche de Poutine. M. Leroy signe alors un partenariat avec le Grand Paris, une structure territoriale homologue, dont le présidente est Patrick Ollier, le compagnon de Michèle Alliot-Marie.

Chantal Jouanno (ministre de l’Écologie puis des Sports de 2009 à 2011). Elle a été ensuite conseillère régionale puis sénatrice avant de prendre ses distances avec Les Républicains à la suite de l’affaire Fillon, appelant à voter Macron en 2017. Un an plus tard, en pleine crise des Gilets jaunes, c’est d’ailleurs Emmanuel Macron qui la nomme présidente de la Commission nationale du débat public où elle touche 15 000 euros par mois. Partie en 2023, elle a rejoint le cabinet de conseil Accenture comme senior advisor en transition écologique. Le cabinet Accenture, mastodonte du consulting, a été mis en cause par la presse début 2021 pour les sommes colossales qui lui ont été versées par l’État français, de la même façon que le désormais célèbre cabinet McKinsey.

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