Maxime de Rostolan, l’entrepreneur vert

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 Depuis deux ans, Maxime de Rostolan incarne médiatiquement plusieurs figures qui confinent au mythe contemporain : agriculteur soucieux d’écologie, utopiste concret, militant sympathique et souriant, entrepreneur de talent et homme qui a su allier éthique, rentabilité et sens.

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Maxime de Rostolan (36 ans) est originaire des Hauts de Seine. Il est le fils d’un directeur de société immobilière spécialisée dans l’hôtellerie à Paris et d’une cadre d’IBM. Il passe par un collège privé huppé, participant même à quelques rallyes si typiquement bourgeois sous l’impulsion de son père. Maxime obtient un Bac Scientifique puis part en classe préparatoire au très select lycée Jeanson de Sailly à Paris et finit son parcours à l’école d’ingénieurs chimistes réputée de Toulouse, l’ENSIACET. Il passe également quelque temps à l’Université de Sao Paulo au Brésil où il rencontre Elena de Barros Costa Marques qui deviendra sa femme et qui est depuis 2013 gestionnaire d’affaires et de patrimoine en France.

Fraîchement diplômé comme ingénieur spécialiste de l’eau, il part en voyage autour du monde entre 2004 et 2007 et en tire un ouvrage, « Les Aventuriers de l’Or Bleu », préfacé par l’ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage. Il travaille ensuite chez Deyrolle – propriété de Louis-Albert De Broglie surnommé le prince jardinier – vielle maison spécialiste de la taxidermie, de l’entomologie et des planches anatomiques scolaires. C’est par cet intermédiaire et avec le soutien de son boss amoureux de la nature, également propriétaire du Château de la Bourdaisière en Touraine, qu’il se lance dans l’agriculture en installant une ferme dans la propriété du patron. La sœur De Rostolan dirige à la même époque Terres de Lien en Normandie, une association qui agit pour le rachat de foncier agricole pour éviter la spéculation et l’artificialisation et qui deviendra vite un partenaire des actions du jeune Maxime.

En 2012, il fonde la société par actions Blue Project au capital de 36.000 euros qui s’occupe de valoriser des activités scientifiques et techniques diverses. Parmi ces activités, on trouve Blue Bees, un site de financement et de prêts participatifs fléchés vers « l’agriculture et l’alimentation écologiques ». Le projet qui a déjà récolté presque trois millions d’euros (dont 5% sont gardés pour les frais de gestion), bénéficie de l’aide de partenaires prestigieux tels que Nature & Découverte, Ethiquable, la Banque Publique d’Investissements de l’état, la Région Midi-Pyrénées, Investisseurs & Partenaires, le Crédit Coopératif, des fonds liés à Pierre Rabhi, etc…

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En 2013, De Rostolan fonde l’association Fermes d’Avenir – localisée à la Bourdaisière – qui compte actuellement trois salariés et des Services Civiques subventionnés par l’Etat. Cette asso est la vitrine d’un projet qui se veut solution politique durable aux méfaits de l’agriculture industrielle productiviste. Le modèle de petite ferme autonome transposable partout, sorte de franchise verte, vante les bienfaits d’une agriculture biologique source d’emploi pour néo-ruraux déçus du capitalisme urbain et construit des partenariats avec les pouvoirs locaux, heureux de montrer une image moderne sans non-plus prendre le risque de laisser les clés des sols cultivables à la première communauté hippie ou anarcho-autonome venue, dans un contexte où les tensions entre différentes générations d’agriculteurs sont importantes dans certaines zones.

La visibilité de De Rostolan croise différentes sphères médiatiques, aussi bien les réseaux sociaux (400 tweets et 1000 abonnés en six mois, plus de 7000 personnes abonnées sur Facebook, une chaîne Youtube avec une douzaine de vidéos postées en moins d’un mois…), les médias locaux (une centaine d’articles et d’émissions de radio) et les médias nationaux (Libé, Le Monde, Le Figaro, France 3, Europe 1, BFM, I-télé, France Info, Le Parisien, Télérama, TV5, France Culture, Challenges, l’Express, RFI, Slate…). La communication des Fermes d’Avenir est bien rodée et mêle une panoplie hétéroclite markétée pour un cœur de cible bourgeois-bohème de bon aloi : tables-rondes participatives, ateliers cuisine anti-gaspillage, yoga pour enfants, initiations à la naturopathie et à la confection de mandalas, mini-musées agricoles, interventions-débat auprès de scolaires, un tour de France à vélo avec des chapiteaux, projections de films plus ou moins militants, concours-tombola, « Guerilla Gardening commando » de planteurs de graines, concerts de chanteurs trentenaires à poncho, repas à la bonne franquette avec des produits de la ferme et nappe en papier.

Cette couverture assez impressionnante, ressasse avec succès les éléments de langage classiques de l’écologie fréquentable (développement durable, permaculture, agriculture biologique, chantier participatif, agriculture responsable, optimisme, réconciliation, éthique, projet cool, entrepreneuriat social, cartes de visite recyclées, circuit court, « payculteur », économie circulaire…) tout en reprenant sans complexes le vocabulaire libéral en vogue (rentabilité, profit, rendement, coûts de production, traçabilité, consommateur, emploi, comptabilité en triple capital, valeur, capital naturel, externalités négatives…).

En tout cas, si on en croit le gonflement des partenariats, la petite asso gagne en influence : le groupe Accor (qui a embauché Nicolas Sarkozy il y a peu), CasinoMetroFleury-MichonPhilipsNeuflize OBCBPCEBanque Populaire Val de FranceJardilandRustica, système U, PUR Projet de Tristan Lecomte, ancien de HEC et de L’Oréal, fondateur d’Alter Eco, principale marque française de commerce équitable. Parallèlement, la constitution d’un comité de pilotage scientifique permet de parfaire le réseautage, indispensable pour croître. Ainsi, l’INRA, HEC, l’Université Pierre et Marie Curie, des cabinets de consulting en stratégie, économie circulaire ou biomimétisme (Carbone 4, BeCitizen, Biomimicry) et des ONG’s influentes comme Green Cross, sont de la partie.

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En retour, les activités de De Rostolan participent à la notoriété du château qui est adossé à la ferme expérimentale. Ce domaine, propriété du prince Louis-Albert De Broglie, vend des séjours dans des chambres de charme facturées entre 110 et 250 euros la nuit ou des packs mariages et séminaires, axant sa communication sur un rapport privilégié à la nature avec un « conservatoire de la tomate », un « bar à tomate » très tendance, un jardin exclusivement composé de dahlias et conçu par un célèbre paysagiste, un verger-ode à la biodiversité et, bien entendu, la visite possible du projet de Maxime. L’année est en plus marquée par un festival de la tomate, un festival de musique classique, un festival de la forêt et du bois et une fête des plantes et de poules. Une belle synergie entre patrimoine architectural, naturel et culturel, comme on dit.

En 2015, Fermes d’Avenir obtient un prix « My Positive Impact », dispositif qui récompense les projets écologique innovants, sponsorisé par la fondation Nicolas Hulot, TF1, des associations et agences publiques comme l’ADEME.

Fin 2015, De Rostolan lance à son tour le premier concours « Je deviens paysan » en collaboration avec La Ruche qui dit Oui – dont l’actuel ministre LREM Mounir Mahjoubi est le co-fondateur – et en partenariat avec le Groupe Clarins, la Fondation Lemarchand, BNP Paribas, le Crédit Coopératif et l’Alimentation Générale. L’objectif annoncé était de sélectionner et récompenser financièrement des projets d’agriculture durable innovante. C’est sa boîte, Blue Bees, qui s’occupe via un financement participatif, de récolter le complément des sommes pour le concours… Il lance dans la foulée avec l’ami Tristan Lecomte un concours de plantation d’arbres, « Arbres d’Avenir ».

Désormais, l’activité se décline aussi en séjour touristique de découverte écologique et Maxime de Rostolan offre son expertise et ses talents de conférencier, par exemple lors de soirées TedX – fondation internationale qui valorise les « propagateurs d’idées qui valent la peine d’être partagées » -, lors de grands événements « éthiques » comme Solidays et We Love Green ou auprès des Jeunes Chambres de Commerce et d’Industrie, de camps des Scouts de France et même de l’ENA. Il est par ailleurs, président de l’association Bioroof, qui fait la promotion de l’agriculture en milieu urbain et expert-consultant auprès de l’association Ticket For Change qui œuvre pour « activer les talents » et permettre à chacun de « passer à l’action et créer le job de ses rêves ». Nicolas Hulot, Clara Gaymard (diplômée de Sciences Po Paris et de l’ENA, cadre dirigeante de General Electric et LVMH, épouse d’un fugace ministre de l’agriculture puis de l’économie, démissionnaire pour cause de scandale) et Najat Vallaud-Belkacem sont d’ailleurs les parrains de cette asso…

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En juillet 2016, membre d’EELV et trésorier du micro-parti de Nicolas Hulot, il est déçu par l’abandon de ce dernier dans la course à la présidentielle. De Rostolan décide de se lancer dans le lobbying, avec l’édition à l’automne d’un « Plaidoyer des fermes d’Avenir », sorte de synthèse de l’activité de l’association, flanquée de 10 propositions politiques dans la perspective de la présidentielle qui s’annonce et d’une pétition, bientôt signée par 50,000 personnes, dont les papes de l’écologie-people, Nicolas Hulot bien sûr, Pierre Rabhi et Yann Arthus-Bertrand. C’est le Cabinet de Conseil Auxilia qui en pilote la rédaction et le suivi pour influer élus et institutions, notamment par l’intermédiaire d’Hélène Le Teno, ancienne des Ponts et Chaussées spécialiste de l’industrie, du marketing, du secteur financier et… de « transition écologique ».

En janvier 2017, le Ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll avec le parrainage de Nicolas Hulot remet les prix des deux concours « Je deviens paysans » et « Arbres d’Avenir » dans les locaux même du ministère.

En février 2017, le candidat Emmanuel Macron visite la Ferme d’Avenir durant sa campagne et De Rostolan lui adressera une lettre ouverte, partagée des milliers de fois sur Facebook et sur certains médias, après le premier tour en avril.

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En juillet 2017, après avoir multiplié les déclarations d’amour envers Nicolas Hulot, il participe aux Etats Généraux de l’Alimentation, sorte de machin voulu par Emmanuel Macron pour mimer un débat puis un consensus entre industrie agroalimentaire, grande distribution, FNSEA, associations de consommateurs et représentants de la « société civile », entrepreneurs innovants et opinions-makers. Et pour ça, Maxime, c’est l’homme au pull de laine de la situation.

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Le parcours de De Rostolan est assez symptomatique des évolutions que l’on observe ces derniers mois dans la vie politique, à l’image des ministres Mounir Mahjoubi, Marlène Schiappa ou Sophie Cluzel et de tant de députés… : un patronage prestigieux avec Hulot et Rabhi, la superposition des casquettes d’entrepreneur, de travailleur associatif et de personnalité médiatique, un parcours scolaire d’élite et une stratégie centrale de réseautage et de communication, un soupçon d’éthique et de morale mais sans jamais sombrer dans le mauvais goût de la radicalité et de l’utopie, un discours positif et optimiste sur fond de « quand on veut on peut »…

Les mauvais esprits se demanderont tout de même quel temps reste-t-il à ce jeune hyperactif pour s’occuper du potager ; si la ferme expérimentale et le discours politique ne deviennent pas, à force, des alibis honorables au service de ses affaires et de sa notoriété ; si la volonté de « changer les choses de l’intérieur » par la proximité avec le personnel politique et les élites économiques ne finit pas par limiter la capacité d’action, les dorures, flatteries, cocktails et séminaires entre VIP ayant ce curieux pouvoir de transformer le militant le plus sincère en gentil écologiste constructif qu’on invite pour se montrer plus vert que vert…

 

Plus profondément, il faut s’interroger sur la pertinence de la stratégie du partenariat avec l’Etat et les grandes entreprises et si elle peut déboucher sur une transformation majeure du monde rural, profondément en crise et parent pauvre des politiques depuis des décennies, sans même parler de l’urgence écologique. Bref, Maxime de Rostolan, ne devient-il pas le client idéal pour servir de rustine écologique au pouvoir politique et économique sans jamais questionner en profondeur le productivisme, la logique industrielle, les choix de l’Etat depuis les années 1950, l’occupation des sols, la constitution d’énormes groupes d’intérêt dans la distribution, la consommation de masse et le libre marché.

Cette stratégie est soit-disant le pari de Hulot à plus grande échelle. On en jugera les résultats sur pièce ces prochaines années. En tout cas, en ce qui concerne les Etats Généraux de l’Alimentation, ça commence mal…

 


Sources :

7 commentaires sur “Maxime de Rostolan, l’entrepreneur vert

  1. Merci pour ce travail de recherche qui permet un peu de recul et d’objectivité.
    J’ajouterai que la forte médiatisation du personnage et de ses actions même si elle peut être justifiée a tendance à occulter les actions d’acteurs historiques. Ces associations, groupements, coopératives travaillent dans l’ombre du terrain depuis parfois des décennies et ont grandement contribué à la prise de conscience actuelle.
    Leur socle de valeurs est souvent plus structuré, plus nuancé mais aussi plus entier, et leurs pratiques sans compromis.
    Un état des lieux des forces en présence pour ce combat une agriculture différente, avec votre approche, serait certainement très intéressant.
    anthony b

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  2. Je suis agriculteur et voisin de ferme d’avenir, effectivement c’est une agriculture de mensonges qui très fortement subventionnés sans aucune rentabilité. Ils vendent que du rêve, leurs objetifs étaient de retourner la tête des médias pour se les mettre dans la poche puis pour pouvoir faire du matraquage médiatique à fin de faire peur à la population pour qu’elle se retourne contre les agriculteurs !!!!!
    Merci pour cette article maintenant je comprends mieux son parcours!
    C’est nous agriculteur en agriculture de conservation ou de régénération des sols qui détenons la vérité car on est capable de stocker du carbone, de produire sans fuite, en quantité, sans résidus de pesticides, d’augmenter la fertilité des sols et d’améliorer la biodiversité……

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